Caractère

Très souvent, je suis très choquée d’entendre ma propre colère, cette voix intérieure qui gronde et j’ai remarqué que là où je réagissais le plus souvent, il y avait des gens superstitieux autour de moi, des sophistes, qui se mettaient en action pour simuler un propos. La chose la plus difficile est de garder le discernement et de ne pas tomber dans ce qu’ils sont. C’est une chose que je me dis souvent à moi même “je ne suis pas eux”, “je ne suis pas comme eux”, “je ne dois pas les laisser changer ce que je suis”.

Je suis issue d’une famille un peu compliquée et je suis l’ainée des petites filles de mon grand-père, ce qui veut dire que j’ai des souvenirs que la plupart de mes cousins n’ont pas. Je ne suis pas l’ainée des petits enfants, mais nous avons toujours été proches avec le peloton de tête et mes cousins ont sans doute été plus des copains. Pas des amis, mais des copains, forgeant un peu mon caractère quand ils me mettaient de côté, quand ils me renfermaient dans la chapelle des morts. J’ai appris très tôt à jouer avec des fantômes.

Petite, je ne parlais pas ou peu et j’ai mis très longtemps à savoir m’exprimer. C’est ma rencontre avec le général qui a un peu libéré tout cela. Lui me faisait confiance et il m’encourageait tout le temps. Il n’attandait pas que je réussisse du premier coup, mais que je persévère et que je m’améliore. Il ne l’a jamais dit, mais je le voyais et moi j’aimais bien surprendre. Comme il disait, je suis comme la Loire, calme et paisible, mais parfois surprenante. Calme, patiente, paisible à faire mes petites affaires. C’est sans doute ce qui me définit le mieux et pourtant je n’y arrive pas aux USA. Il y a une colère intérieure qui rend difficile d’avancer, difficile d’ignorer, difficile de tourner le regard pour ne pas voir. Intérieurement, j’ai peur de m’habituer et de ne plus être moi.

J’ai travaillé comme assistante personnelle ce qui ne montre pas le meilleur profil des gens et je me souviens cette réflexion en préparant le dîner d’un enfant… avec du beurre de cacahuète. Il faisait un caprice et au lieu d’insister avec les légumes, que par ailleurs il adorait lorsqu’il ne boudait pas, sa mère m’a demandé de préparer un sandwich au pain de mie et au beurre de cacahuète. A d’autres moment, c’était un épi de maïs, des boulettes de viande ou des nuggets. Que des trucs qu’on ne mange pas en France et avec lesquelles ont éduquerait jamais un enfant. Il faut dire, je viens d’un milieu où c’était entrée, plat de résistance, salade, fromage, dessert à chaque repas. Le plat de résistance était de la viande du boucher qui élevait lui-même son bétail et les légumes étaient du jardin. J’ai dû commencer à acheter des légumes lorsque je suis devenue étudiante et que j’habitais trop loin de mes parents.

Tout cela pour dire qu’aux USA, les gens vivent dans le passé, les grandes migrations, la famine et que leur alimentation est essentiellement basée sur les produits de première nécessité, ceux qui font grossir pour rester carné. Ils ne savent pas jardiner, ils ne savent pas cuisiner, ils ne savent même pas décorer leur maison. Je me souviens au tout début lorsque je cherchais un appartement à Las Vegas, j’étais choquée de voir l’intérieur des maisons, le manque de style, le manque d’harmonie, le côté vieillot des choses. Chez IKEA en France, on mange du poisson et des légumes. Avec ma mère, on allait souvent chez IKEA pour manger du poisson. Ici aux USA, c’est boulettes de viande ou sandwich. Les gens ne mangent pas mal parce qu’ils y sont contraints, mais parce que c’est la seule chose qu’ils aiment et il est difficile de tenir un américain à table pour un repas français. Il se lève, s’asseoie, se relève et ne tient pas en place comme un ado.

Après la nourriture, les hommes sont ma deuxième déception. En France, j’étais fille unique mais j’avais des cousins, des oncles, des voisins et je me suis toujours bien entendu avec les hommes sans trop me poser de questions sur ce que je suis. J’ai mené une étude ethnographique dans le plus grand pays musulman au monde, j’ai fait une maquette avec des hommes animistes, j’ai travaillé au plan de paix à Aceh qu’on appelle le “parvis de la Mecque”, et je n’ai jamais rencontré de difficultés.

Aux USA, je galère. Les hommes ont le cerveau en dessous de la ceinture et mon statut de demandeur d’asile les rend pénibles. En Indonésie, j’étais habituée à ce qu’on me demande en mariage une trentaine de fois par jour, mais souvent, ce sont les mères qui faisaient la demande à l’exception d’une foi où une femme s’est faite payée pour un rendez-vous dans son restaurant avec un ingénieur qui est arrivé avec tout ses bijoux. J’avais vite trouvé la parade en expliquant que je voulais l’improbable. Aux USA, quand ils sont polis, ils demandent parfois ce que je veux et c’est un peu compliqué d’expliquer que je n’épouserais probablement pas un américain. Je veux dire de façon assez ferme que c’est sûr, ne n’épouserai jamais un américain. Ni un anglais d’ailleurs.

Lorsque j’ai quitté mes parents à l’âge de 19 ans, j’avais enfin atteint un but que je recherchais depuis environ l’âge de 5 ans. J’étais enfant unique avec deux adultes insupportables, j’avais une nounou et son mari qui ont été mes modèles et j’avais une famille un peu compliquée, mais j’ai appris avec ma nounou à gérer tout cela et à être patiente. A 19 ans, j’étais comme un poney dans le grand Ouest, dans une école où il n’y avait que 3% de femmes et une toute petite minorité d’élèves qui n’étaient pas des enfants d’architectes. J’ai travaillé dur pour grandir et devenir une adulte sage et responsable. L’architecture était pour moi comme une religion, un moyen d’être bon avec les autres. Hors, depuis sept ans, c’est de cela dont je me sens privée parce que des gens voudraient que je sois “bonne” avec eux, un peu domestique, un peu épouse, un peu esclave, mais on ne me laisse jamais être moi, avec ce caractère que je me suis forgé depuis l’enfance.

J’en suis venue à détester à peu près tout, surtout mes voisins qui continuent d’insister en prétendant pouvoir être comme ma mère ou ma famille. Jamais. Je déteste la gentrification, l’excès de la sexualisation sociale, le fait d’être défini par un genre et de devoir absolument se définir par une sexualité. Ils veulent tous revendiquer être gay, queer, polygames ou polygenre de toutes sortes, mais ils ne conçoivent pas qu’une femme soit tout simplement une intellectuelle, et qu’à priori, la sexualité est une chose personnelle que je n’ai pas envie de porter en T-shirt, en tongues ou en short. Rien que de dire cela, la façon de s’abiller aux USA, j’ai l’impression d’être un porte manteau et je déteste ça. Je ne peux pas m’habiller, me maquiller et sortir sans me faire harceler. Les gens sont fous. Ils vont tous dans des congrégations religieuses où il n’y a aucun cadre pour donner des limites à leur attitude macho primaire, et quand je dis cela, je devrais dire à quel point je les trouve moches.

Bref, je déteste les Etats-Unis et cela soulève une colère intérieure permanente, un besoin de crier, un besoin de parler fort pour même dissimuler que j’ai une petite voix. Ils assimilent ma petite voix à de la faiblesse, alors que je ne suis pas faible, j’ai simplement été élevée dans un monde de silence, de calme à faire mes petites affaires, d’étude, de travail et méditation. Ici, tout n’est que gesticulations sournoises où il est difficile de survivre. C’est un Titanique permanent où les hommes cherchent constament à abuser des femmes.

Un jour, je regardais mes voisins déjeuner dehors. La mère était là qui nourrissait son fils et le petit garçon avait 4 ou 5 ans. Il mangeait avec des couverts en plastique de bébé, une cuillère, pas de couteau. Avec une autre voisine australienne dont le frère est un chef étoilé, nous sommes allées un jour prendre un brunch en ville, et elle m’a fait cette réflexion que je mangeais avec mes deux mains, fourchette et couteau. Tous les jours, me disais-t-elle, je pleure en allant travailler. Chaque fois que je passe devant l’aéroport et que je vois des avions australiens. Elle est psy, donc je comprends qu’elle pleure, mais mariée à un américain qui lui… est homme au foyer. L’éducation des enfants est une chose trop importante pour le laisser à une femme m’avait-il dit. Sa fille m’avait dit qu’il était “sniper”. Oups. Ce monde est fou.

J’en est marre d’ouvrir le journal pour lire la dernière folie de tel ou tel milliardaire, les Kardashian, Elon Musk, Rihanna, etc… La grande mode de nos jours, c’est la fécondation par mères porteuses. Il y a quelques années, c’était l’adoption de petits noirs. Ces gens là maltraitent la famille, l’amitié, des fondamentaux qui n’existent plus ici. Par ailleurs, j’en ai marre de la racialisation de la société, du prosélytisme bout de chandelles, de la superstition de trottoir, ces gens qui prophétisent tout. Si tu m’achètes un tapis, c’est que le prophète revient l’année prochaine, le 12 février exactement à 15 heures. Les gens sont assez stupides pour croire à tout et ne pas voir le degrés de désespoir dans leurs actes. Ils coulent, mais ne veulent pas le voir.

Ils sont surtout dans un rapport de force constant à vouloir se convaincre qu’ils sont les meilleurs, que le monde a besoin d’eux et qu’ils sont indispensables. Je retrouve en cela le côté “petit graçon” élevé trop tard avec une cuillère en plastique. C’est comme si on leur avait retiré tous les couteaux pour éviter qu’ils ne se blèssent dans un excès de colère, où l’excès de colère de leurs mères. Il y a une façon très capricieuse de vivre ici, de se venger, de se moquer, de prendre des gens pour cible et les ridiculiser. Le bullying est avant tout un phénomène américain et je trouve cela terrifiant. Comme tous les enfants, ou presque, j’ai eu des bagarres dans mon enfance, des groupes de filles intrépides qui se sentent très supérieures. Leurs parents sont mieux, leurs grands-parents sont mieux, et elles aussi sont mieux tandis que moi petite, silencieuse, timide, j’ai souvent été le vilain petit canard. Mais il y avait à l’époque une justice, d’autres enfants pour s’élever. Hors les enfants aujourd’hui ne sentent plus le devoir où même le temps de se lever. Les enfants n’ont plus le temps, ils jouent à leurs jeux vidéo et ils font la guerre.

Je me souviens en 2017 avoir travaillé quelques mois comme baby sitter. L’enfant de 11 ans dormait avec sa mère, faisait pipi au lit et lorsque le petit ami venait dormir à la maison, c’est la mère qui prenait la place de son fils sur un matelas souillé, même si je changeais les draps tous les 2 ou 3 jours. L’enfant avait un ami qui était un dur et dont le papa était écrivain de films. Des bourgeois aisés, mais malgré tout, des gens un peu comme tout le monde. La maison était à peine plus grande que celle de mes parents. La maman a déménagé pour aller à Newport Beach. Je me souviens le sentiment de malaise quand je suis arrivée là-bas. Un quartier de blancs où tous les enfants sont blonds. Ils voulaient me déménager là-bas où j’aurais atterri dans un quartier latino. Pour faire passer l’été avant le déménagement, je me suis trouvée plusieurs fois avec les deux enfants. A 11 ans, ils étaient tous les deux addicts aux jeux de guerre, et lorsque je coupais les jeux pour aller à la piscine, manger ou sortir un peu, ils se mettaient en gang de deux minuscules gamins pour me faire la peau, parlant de moi comme d’une esclave, s’aseillant sur le siège arrière de la voiture pour parler de la très bonne politique de Trump et jouer aux adultes sur le bord de la piscine avec leur sachets de compote et leur googles. Tout un monde quoi, surtout quand la piscine est un club privé à plusieurs centaines d’euros mensuels où tous les adultes sont des nounous. Moi qui suis grande, blonde, avec les yeux bleus, j’avais presque un malaise.

Un jour, alors que je restaurais un bateau de 65 pieds, j’avais régulièrement sur le bord du quai des vieux qui venaient s’asseoir pour me regarder travailler. Un jour, l’un d’entre eux m’a dit qu’ils n’avaient jamais vu cela, une femme pour restaurer un bateau. La première fois que j’ai restauré un bateau dans la marina, j’ai le patron d’une boîte d’entretient de bateau qui est venu à quai. Il était là, au téléphone à me regarder en demandant à ses employés de faire au moins aussi bien que moi. Je n’avais que 10 dollars à l’époque, je squattais sur un bateau, pour être sûre que le propriétaire ne me demande aucun faveur particulière, j’avais négocié mon gîte contre la rénovation de son bateau. J’ai dépensé mes 10 dollars en éponges et produits d’entretien. Ca brillait. Il a réinvestit dans des produits anti-graisse, anti-rouille, anti-tâche, etc… et ça brillait encore plus. Ce vieux bateaux que tout le monde connaissait était devenu une star et le propriétaire faisait son show pour en rajouter un peu plus. A l’époque, il n’y avait que des mexicains dans la marina habillés en t-shirt manches longues roses. Je m’étais acheté un t-shirt rose également pour me fondre dans la masse et plusieurs personnes blanches m’ont fait la réflexion qu’il était discriminatoire et insultant que je fasse cela.

Je n’ai jamais bien su où était le curseur de l’insulte, mais moi aussi je me sens souvent insultée, particulièrement quand on me traite de raciste parce que je travaille comme nounou, que je rénove un bateau ou que je fais de la charpente. Quand je suis arrivée dans le parc où j’habite de nos jours, mon propriétaire m’a demandé pourquoi je faisais “ça”. Pourquoi je faisais de la charpente, il fallait le laisser aux mexicains. En fait, dans leur imaginaire, une femme ne peut-être qu’une épouse, une chose, servile comme la maman d’un enfant attardé. Hors justement, c’est le côté attardé qui me refoule, mais pas que. Les américains sont brutaux, bruyants, agitateurs, grossiers. Ils aiment ce côté viking de l’homme poilu, tatoué qui rote fort. Ils ont des men’s cave et vont au baseball, pendant que maman s’occupe de tout. Et les femmes, que dire des femmes….

Je vais garder mon livre sur les femmes pour plus tard, mais quand je vois des femmes me tourner autour genre “t’es pas gay?”, là je dis non, ça suffit. Ils passent le temps à se renifler le cul et ça suffit. Stop, basta, j’arrête de me laver!!!!! En fait d’américains, je devrais parler des Californiens, parce que le problème est quand même très local, mais c’est asphyxiant. Quand on lit dans le journal que des enfants veulent changer de sexe, mais de quoi parle-t-on? Des enfants!!!!! Quand on lit dans le journal tel ou untel s’acheter un enfant auprès d’une mère porteuse, mais ils sont fous, ils commercialisent le ventre des femmes et je ne peux que m’offusquer de cela. Je hais tout ces mouvements “woke” qui au nom d’un certain concept d’éveil, en viennent à renier à peu près toutes les logiques de base, comme le choix et la liberté de penser. Au nom de leur liberté à eux, il faudrait renier ce que l’on est, s’excuser d’être blanc, s’excuser d’être une femme, intellectuelle ou du moins qui essaye de survivre à cela. S’excuser d’être étrangère et d’avoir ma propre culture. S’excuser même d’avoir une famille qu’ils voudraient pouvoir remplacer. Ben non.

Il y a quelques années en France, on m’accusait d’avoir un accent Tourangeau, justement parce que les tourangeaux n’ont pas d’accent, mais parlent de manière lente et en serrant légèrement les dents à la manière de Bridget Jones. J’ai dû apprendre à changer de ton pour m’adapter au chaos qu’il y avait autour de moi, mais j’avais toujours des moments de pause où je pouvais revenir aux sources et me retrouver chez moi. Hors, cela fait sept ans que je ne suis pas retournée en France, que je n’ai pas vu ma famille et que je me sens attaquée, en permanence, par des gens qui veulent m’instrumentaliser à leur dessein. C’est tout juste insupportable et c’est surtout intolérable, inacceptable éveillant en moi le sentiment de nécessité que je dois combattre cela pour ne pas me perdre. Ne pas être comme eux, rester moi, ce que je suis, ce que j’ai toujours été.

Lorsque je voyageais en Indonésie, Italie, Tchécoslovaquie, Pays-Bays, Suisse, j’avais toujours quelque chose de positif au sujet de la France, pays des droits de l’homme, mais pas que, pays du savoir vivre aussi. A mon arrivée aux USA, j’étais brisée, comment mon pays, la France, avait-il pu me faire cela. Je me sentais comme une femme battue après un mauvais mariage, mais les gens que j’ai rencontrés aux USA n’étaient pas mieux, violents, arrogants et moi, devenue si fragile. J’étais un zombie à mon arrivée. Je marchais malgré moi. J’étais sonnée comme un boxeur après un match, j’étais là, sans être là, je ne savais pas bien ce qui se passait, ce qui allait se passer, ce que j’allais devenir. Quand je suis arrivée, je pensais survivre 4 mois et mon urgence était d’écrire pour que le FBI sache que je n’étais pas suicidaire, que si je mourrais, c’est qu’on m’avait tuée. Certes, j’ai pensé à la mort, souvent, ultimement, comme on s’attend parfois au pire. Chaque fois que j’ai voyagé hors de France, j’ai écrit mon testament, préparé ce que ma famille devrait garder en mémoire sur ma mort, si un tigre me mange, si je disparais. Je n’avais jamais envisagé que les USA me soient hostiles, voire, que des américains veuillent me tuer. Hors, c’est bien cela qui se passe, au nom de la couronne britannique, de la gauche française, d’une certaine idée du monde, de l’ordre du monde.

Tout cela éveille en moi un sentiment de révolte et de colère, la rage du guerrier. Il y a quelque temps, des voleurs étaient venus faire la razzia dans le quartier et ma voisine s’est étonnée à son mari de me voir la nuit dans la rue avec un sabre pour chasser les voleurs. Un garde de nuit, ancien prisonnier, ancien membre de gang, soi-disant reconverti, me demandait si je n’avais pas peur. Bien sûre que j’ai peur, mais comme j’avais peur à mon premier saut de parachute, comme j’avais peur lorsque je me suis retrouvée toute seule sur le parvis de la gare à Venise avec seulement 500 francs et un paquet de gâteaux, comme j’ai eu peur dans un avion Turc direction l’Indonésie, cette peur là qui rend calculateur, alerte et combatif. Je n’ai pas peur de mourir, mais je l’ai toujours dit, je ne tomberai pas en silence.

Mon caractère aujourd’hui, c’est le dégoût, me dire que même peindre ou dessiner, c’est donner à l’ennemi des munitions parce qu’ils veulent pouvoir tout interpréter, s’inventer savants de quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas, qu’ils ne connaissent pas et sur laquelle ils mentent. Ils veulent interpréter le non sens pour justifier tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils sont, tout ce qu’ils veulent être, mais ils se servent de moi comme d’une otage pour monnayer leurs arguments. Hors, maintenant que j’en ai pris conscience, je ne l’accepte pas parce que tout ce qu’ils font est de mentir, donner des raisons qui ne sont pas valables.

La seule chose qui me retienne aux USA aujourd’hui, c’est mon bus parce que j’ai déjà perdu toute une partie de ma vie, ma maison, mes livres, mon chez-moi. Ce bus est devenu ce chez-moi de substitution, mon atelier de peinture, de couture, mon bateau. Dommage qu’il ne roule pas et qu’il ne flotte pas non plus, parce que je veux le ramener en France. J’ai budgétisé la réparation et le transport pour le ramener sur le campus de France Rurale, mais je ne suis pas prête à perdre ce qui est à moi. Je peux changer de climat, je peux changer d’environnement, mais je n’ai pas envie de changer de repères, parce qu’au fond de moi, il y a maintenant des blessures terribles où l’on m’a déshumanisée, réduite à l’état sauvage, à la survie. Hors la survie n’est pas un état normal et il faut surtout un jour que cela s’arrête pour retrouver une normalité.

La normalité à Los Angeles n’existe pas. Par définition, les gens ici sont différents à cause de toutes sortes de dérives sectaires qui ne pensent que pour leurs profits. On me l’a souvent dit, ici tu ne pourras avoir d’amis que parce que les gens peuvent profiter de toi, et je n’y croyais pas au début, je suis d’un caractère assez jovial et je me suis toujours fait des amis. Hors là, c’est un autre monde. C’est un tout autre monde pollué par la politique, les rivalités de toutes sortes, c’est le grand Ouest. Pauvre petit poney.

Le grand Ouest, ce sont des gens qui se croient plus occidentaux que les occidentaux. Plus occidentaux que les Européens. Plus à l’Ouest quoi. Encore plus à l’Ouest que New-York et Washington. Plus à l’Ouest que les rocheuses. Plus à l’Ouest que le grand désert de la mort. Il faut en traverser des canyons pour y arriver et l’avion n’efface pas l’étendue de cette frontière naturelle entre la Californie et le reste du monde. C’est presque une île reliée aux USA par quelques autoroutes, mais le port de Long Beach est presque plus dense que tous les réseaux routiers. Cela donne l’orientation de ce monde là qui ne regarde le soleil qu’à l’aurore. Un soir, le soleil se couche et ce sont les lumières de la ville qui s’éveillent.

J’ai vécu au rythme des gesticulations de Paris, mais Paris est centré dans la France avec quelques ponts vers le reste du monde, des gares, des aéroports, des boulevards. Paris concentre et Paris s’excentrie. Los Angeles est différente dans le sens où la ville se quadrille en fonction de sa géographie, l’océan, les montagnes, les services et notamment l’eau. Toute la ville est stratifiée en fonction de la concentration des trois. Malibu, et plus loin Santa Barbara, apportent en plus le silence, pas d’hélicos, pas d’avions, pas de drones non plus. Los Angeles, en soit, est une ville entreprise tournée presqu’exclusivement sur les studios de cinéma qui eux mêmes entrainent toute une multitude d’autres services, accessoires, costumes, traiteurs, studios divers et variés de musique, effets spéciaux, décors, accessoires. Mais le jeu d’influences tout autour des studios ramène la ville à un état sauvage, une jungle, difficile à vivre dans les conditions où je me trouvais. Je ne suis pas sûre qu’avec un autre statut d’immigration j’aurais survécu. La question va se poser dans un mois. Que vais-je dire au juge?

Je n’avais jamais imaginé vire aux USA. J’avais bien imaginé visiter un peu, m’y échapper un peu, mais comme ça, temporairement. Je n’ai jamais imaginé y vivre de manière permanente. A mon arrivée aux USA, j’étais très docile, tellement déçue par la France que “ouais ouais, je reste aux USA”. Après 7 ans, j’ai du mal à regarder la France-Afrique, critiquer la France et me dire que j’ai résolu mon problème en vivant aux USA. Je n’ai pas vraiment de solution pour l’avenir à par reprendre mon travail au travers France Rurale, mais maintenant il faut arriver à migrer dans l’autre sens, et ce n’est pas facile. Pendant 7 ans j’ai cru que c’est moi qui demandais quelque chose et depuis quelque temps je me rends compte que c’est eux en fait qui m’ont emmenée là en sabotant mon travail et en cherchant à saboter ce qu’il reste de moi.

Je l’ai souvent dit, je suis un enfant soldat. Grandir fille unique dans une famille comme la mienne a forgé un caractère de résistant. J’étais mature dès l’enfance, je n’avais pas d’autre choix que de trouver en moi la force et le courage, mais depuis toujours je me suis battue contre la tentation facile de la colère. J’ai développé une capacité d’oubli incroyable. Ce que j’appelle mon trésor. Cela m’aide à rebondir pour devenir plus forte. En fait, je ne suis que ce qu’ils font de moi et j’apprends avec eux. Mais je ne veux pas être comme eux. Je crois en des valeurs qui sont mon esprit et mon sang, ce cadeau que j’ai reçu quand j’étais toute petite. C’est mon caractère. Comme la Loire, j’ai ma source et comme le saumon, je retourne toujours à ma source. Peut-être pas la Loire, mais en tous les cas la France.

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