Le Grizzly

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Jour de Thanksgiving aux USA, mes voisins sont partis dépecer la dinde dans leur famille, et moi, je suis restée au chaud à la maison. En 2019, peu avant la pandémie, une jeune femme architecte m’avait invitée pour la Thanksgiving chez elle. Une grande tablée avec beaucoup d’amis. Certains revenant de Hong Kong où ils étaient fiers d’avoir manifesté. C’était le quartier chinois et malgré mon histoire, ces choses “hasardeuses” qui se passent tout le temps, je me suis dit que cette fois encore, il ne fallait pas généraliser. J’ai participé à cette soirée sans me connecter à rien du tout. Tous parlaient de leur drogue, la Marie Jeanne, leurs meilleurs trips, et moi, je n’étais pas du voyage.

Ce soir, j’avais prévu de faire plein de choses, je cherchais des images sur les ours pour créer une série limitée de Teddy Bear qui soit un peu ma fabrique à moi, ma signature, cette face de Teddy Bear que l’on reconnait. J’ai copié des images, regardé des vidéos et je suis tombée sur un film, le Grizzly Man. Un très beau film avec un air de petit Prince d’un type un peu fou, Timothy Treadwell, qui voulait être un ours. C’est un documentaire et donc, une histoire vraie.

En écoutant l’une des interviews, je me suis fait cette réflexion qu’à force de vouloir être un ours, il est mort d’y être parvenu, et je me suis fait cette réflexion en me souvenant de l’Indonésie. Lorsque je travaillais sur le camp d’IDP, je cherchais aussi à me faire accepter jusqu’au moment où j’ai décidé qu’il était temps de partir, de rentrer en France. C’est en fait lorsque les gens vous acceptent qu’ils vous menacent parfois le plus, qu’ils deviennent pressants. Comme cette fois où le responsable de la mission Suédoise m’a faite arrêter par la police d’Aceh pour me contraindre à porter un casque. Le jour où j’étais comme les autres, les routes sont devenues dangereuses.

J’ai décidé de créer une poupée Timothée Treadwell, et donc de créer un décors et une histoire, mêlant un peu toutes les techniques, dessin, sublimation, céramique, couture. En cherchant des images, j’ai trouvé de magnifiques photos, et en regardant les photos, je me prends à rêver d’une expedition un peu folle pour regarder, sentir, voir les ours. Le seul ours que j’ai jamais vu de ma vie est au zoo, derrière des murs de béton. Pour 2023, il y a deux choses que je voudrais faire. One, voir ma famille dans l’Iowa et traverser l’Amérique en train jusqu’à Chicago. Profiter du voyage pour visiter Chicago, les maisons de Frank Lloyd Wright, l’architecture des grattes ciel, et faire une série de photos. Two, participer à une semaine d’expédition photo en Alaska pour voir et photographier les ours. D’ailleurs, ma muse pour créer les peluches sera un ours de Kodiak.

A peu près au moment de l’affaire Lola, une jeune Iranienne est décédée pour avoir une mèche de cheveux dépassant de son voile. Je voulais faire ces deux bustes, Lola et la jeune Iranienne, mais en travaillant la terre, je me suis arrêtée. Je ne vais pas raconter toute l’histoire, mais en fait, j’ai décidé de partir sur autre chose… un peu par hazard. Après la canicule de l’été, le froid est arrivé, j’ai cherché un tapis et je suis tombée sur un nounours, comme ça, coup de foudre. Je me suis fait ma petite romance jusqu’à ce que je tombe sur des cartons à la poubelle, grands, épais, magnifiques. Je les ai pris pour faire un vieux projet que j’avais mis de côté. Maintenant que les cartons sont là, je n’ai plus le choix, je vais construire un château. Avec un chateau et un nounours, il manquait les meubles et en cherchant bien, je n’ai rien trouvé qui me plaise, si ce n’est des décors et des couleurs au travers deux films que j’ai regardés sur Youtube. Quelques croquis et j’ai maintenant une trentaine d’objets à faire en céramique, un petit monde à moi. Dans ce petit monde, je mettrai les deux bustes que je voulais faire, parce que là, ils auront du sens.

En regardant le Grizzly Man, je comprends qu’on puisse se prendre de passion pour les ours. Il y a une aura autour d’eux qui rend certains territoires impropres à l’homme. Alors que le nombre d’humains sur terre ne fait que grossir, certains territoires résistent parce que des gens aiment ce qu’ils représentent. “Les gens”, cette minorité silencieuse qui parvient à tenir front face aux masses. S’il fallait une musique pour résumer ce monde là, c’est une chanson de Walt Disney qui dit tout, “the bare necessities”. Une chanson tellement actuelle.

En français:

Avec trois bouts de cartons et de la terre, je vais construire mon petit monde à moi, non pas pour ressembler aux ours, non pas pour que les ours me ressemblent, mais pour représenter cette frontière entre deux où l’imaginaire est tout puissant. En juin l’année dernière, j’avais écrit une histoire pour un court métrage. J’ai décidé qu’avec mes poupées, plus rien ne m’arrêterait. Je vais faire mon film, mes décors, construire mes acteurs, leur donner une âme et bâtir mon histoire dans ce monde intouchable.

L’histoire de Timothy Treadwell est fascinante et c’est un peu de cet esprit de liberté que je veux capturer avec mon petit monde, fabriquer des peluches, construire des décors, écrire leur histoire et prendre les photos. Et par la même occasion, dans mon petit monde d’histoire, il y aura une poupée pour le juge Van Ruymbeke. Son décors à lui sera un bureau où il sera assis pour écrire. En fait, plus qu’écrire, c’est un témoignage qu’il porte sur la société moderne. Le monde global.

Ecrire ce blog a été une épreuve. Ecrire partout est sans cesse une épreuve. Ne jamais avoir de réponse est une épreuve supplémentaire, et pourtant, les choses bougent, on parle de choses aujourd’hui dont personne ne voulait parler en 2015, on avance. Moi je trouve qu’on avance. Il faut tenir bon, savoir se ressourcer, s’économiser, se préserver, mais être prêt pour la prochaine étape qui nous fera avancer un tout petit peu. Mon petit monde est l’oxygène nécessaire pour ne pas suffoquer. J’ai un rugissement au fond de moi. Lui donner forme, c’est faire en sorte de ne pas rugir pour rien.

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