McKinsey et Sir William BLACKSTONE

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Les commentaires en quatre volumes de Sir William Blackstone (1723-1780) sur les lois d’Angleterre lui assurent une place dans l’histoire comme l’un des plus grands spécialistes de la common law anglaise. Blackstone a commencé ses conférences sur la common law en 1753. Ses commentaires ont servi d’outil d’enseignement principal en Angleterre et en Amérique jusqu’au XIXe siècle et ont exercé une influence prononcée sur le développement de la tradition juridique américaine.

Source: https://oll.libertyfund.org/person/sir-william-blackstone

Faut-il voir dans le nom de Blackstone un parallèle avec BlackRock, l’ogre financier? Il se faudrait de peu, en fait pour y croire et les commentaires de Blackstone sont relativement éloquents pour décrire les maux du monde moderne, et que beaucoup identifient sous le nom de BlackRock. Je n’ai pas tout lu des commentaires de Blackstone et je ne vais probablement pas tout lire (1269 pages), mais j’avais envie de faire une traduction partielle du chapitre sur les “corporations”. Ce qui m’intéresse ici, c’est la manière dont Blackrock approche son sujet et ce que cela raconte de la finance et de l’oligarchie moderne.

Nous avons jusqu’ici considéré les personnes dans leurs capacités naturelles, et nous avons traité de leurs droits et de leurs devoirs. Mais, comme tous les droits personnels meurent avec la personne ; et, comme
les formes nécessaires d’investir une série d’individus, l’un après l’autre, avec les mêmes droits identiques, seraient très incommodes, sinon impraticables ; il a été jugé nécessaire, lorsqu’il est de l’intérêt du public de faire maintenir et continuer des droits particuliers, de constituer des personnes artificielles, qui puissent maintenir une succession perpétuelle, et jouir d’une sorte d’immortalité légale.

Source: Page 293

Il s’agit d’une définition de ce que nous appelons en France “la personne morale” créée par le biais des sociétés et qui a la possibilité de survivre indéfiniment au-delà de la vie des individus. Hors ici, on le voit bien, il s’agit de créer un droit d’immortalité. Il ne s’agit pas de créer un droit ou un devoir moral hors le fait de l’intérêt public de maintenir la structure en vie. On peut donc supposer qu’aussi longtemps que la structure survit, tous les autres droits s’appliquent, mais il n’est pas question ici de “personne morale”.

Ces personnes artificielles sont appelées corps politiques, corps corporatifs (corpora corporata) ou corporations : dont il existe une grande variété, pour l’avancement de la religion, du savoir et du commerce ; afin de conserver entiers et pour toujours ces droits et immunités qui, s’ils n’étaient accordés qu’aux individus dont la personne morale est composée, seraient à leur mort entièrement perdus et éteints. Pour montrer les avantages de ces incorporations, considérons le cas d’un collège dans l’une ou l’autre de nos universités, fondé ad studendum et orandum, pour l’encouragement et le soutien de la religion et de l’apprentissage. S’il s’agissait d’une simple assemblée volontaire, les individus qui la composent pourraient en effet lire, prier, étudier et faire des exercices scolaires ensemble, pourvu qu’ils puissent s’y mettre d’accord:

Source: Page 293

Si la personne est artificielle, il en résulte que son intelligence l’est aussi, laquelle est un “corps politique” ou un “corps corporatif”. D’ailleurs, le “ou” n’existe pas dans le texte, c’est à dire que la loi, selon Blackrock, suggère les deux, que le politique et le corporatif sont mêlés dans l’intitulé “corporation”. Plus précisément, cette corporation est définie “pour l’avancement”, c’est à dire qu’elle est un moyen d’atteindre son sujet, tel que la religion, le savoir et le commerce, le tout mêlé comme la place d’une ville où il y aurait l’église, l’école et la place de marché, c’est à dire qu’une corporation ne distingue pas le type d’activité qu’elle dispense ou bien qu’elle cherche à mettre en avant.

Par ailleurs, le texte explique que la personne morale, c’est l’individu tandis que la corporation n’est pas une personne morale, mais une personne artificielle qui bénéficie de droits et d’immunités. En d’autres mots, les immunités confèrent un droit de soustraction à la justice, laquelle justice est substituée par la collégialité des intensions. Le texte continu:

(…) pourvu qu’ils puissent s’y mettre d’accord:

mais ils ne pouvaient ni formuler ni recevoir aucune loi ou règle de leur conduite ; aucune, du moins, qui aurait force obligatoire, faute d’un pouvoir coercitif pour créer une obligation suffisante. Ils ne sauraient non plus être capables de conserver des privilèges ou des immunités : car, si de tels privilèges sont attaqués, qui de toute cette assemblée sans lien a le droit ou la capacité de les défendre ? Et, lorsqu’ils sont dispersés par la mort ou autrement, comment transféreront-ils ces avantages à un autre groupe d’étudiants, tout aussi déconnectés qu’eux-mêmes ? De même, en ce qui concerne la possession de domaines ou d’autres biens, si des terres sont concédées à des fins de religion ou d’apprentissage à vingt personnes non constituées en société, il n’y a aucun moyen légal de continuer la propriété à d’autres personnes pour les mêmes fins, mais par d’innombrables transports de l’un à l’autre, aussi souvent que les mains changent. Mais lorsqu’ils sont consolidés et réunis en corporation, eux et leurs successeurs sont alors considérés comme une seule personne de droit : comme une seule personne, ils ont une seule volonté, qui est recueillie du sens de la majorité des individus : cette seule volonté peut établir des règles et des ordonnances pour le règlement de l’ensemble, qui sont une sorte de lois municipales de cette petite république ; ou des règles et des statuts peuvent lui être prescrits à sa création, qui sont alors à la place des lois naturelles : les privilèges et immunités, les domaines et possessions, de la corporation, une fois dévolus à eux, seront pour toujours dévolus, sans aucune nouvelle cession à de nouvelles successions ; car tous les membres individuels qui ont existé depuis la fondation jusqu’à nos jours, ou qui existeront jamais dans l’au-delà, ne sont qu’une seule personne en droit, une personne qui ne meurt jamais : de la même manière que la Tamise est toujours la même rivière, quoique les parties qui le composent changent à chaque instant.

Plus notoirement, les individus qui forment la corporation ne peuvent être attaqués si ce n’est par la coercion qu’ils s’exercent à eux-mêmes, mais aucun individu au sein de la corporation ne peut les attaquer car il n’y a pas de liens entre eux. C’est à dire que la corporation, comme personne artificielle, ne constitue pas un lien entre les personnes qui donnent corps à cette corporation car la personne artificielle n’a juridiquement pas de corps. En revanche, les personnes qui composent la corporation bénéficient d’un lien de transmission par lequel une personne et son successeur sont considérés comme une seule et même personne de droit. Cette personne de droit peut agir comme un organe de justice pour établir des lois et des décrets, à la place des lois naturelles. Cette personne de droit bénéficie de privilèges et d’immunités, des domaines et des possessions dans le cadre de la corporation. Une fois que ces privilèges et ces immunités sont acquis, ils deviennent inaliénables et dévolus pour toujours. Il s’agit en quelque sorte d’une aristocratie de corporation.

L’honneur d’inventer à l’origine ces constitutions politiques appartient entièrement aux Romains. Ils ont été introduits, comme dit Plutarque, par Numa ; qui, trouvant, à son avènement, la ville déchirée par les deux factions rivales des Sabins et des Romains, crut une mesure prudente et politique de subdiviser ces deux en plusieurs plus petites, en instituant des sociétés séparées de chaque métier manuel et de chaque profession. Ils ont ensuite été beaucoup considérés par le droit civil; (a) dans lequel ils étaient appelés universitates, comme formant un tout à partir de plusieurs individus; ou collegia, d’être réunies : elles furent adoptées aussi par le droit canonique, pour le maintien de la discipline ecclésiastique ; et d’eux dérivent nos corporations spirituelles. Mais nos lois ont considérablement affiné et perfectionné l’invention, selon le génie habituel de la nation anglaise : particulièrement en ce qui concerne les corporations uniques, composées d’une seule personne, dont les légistes romains n’avaient aucune idée ; leur maxime étant que « tresfaciunt collegium ». Bien qu’ils aient soutenu que si une corporation, composée à l’origine de trois personnes, était réduite à une seule, « Si universitas ad unum redit », elle pouvait encore subsister en tant que corporation, « et stet nomen universitatis ».

Source: Page 294

D’où sans doute le célèbre adage de diviser pour mieux régner. Le principe des corporations auxquelles il est accordé un rôle politique, est de représenter ce rôle à une plus petite échelle que celle de la cité pour maintenir une diversité et une mixité d’opinions, dissoudre en quelque sorte les oppositions trop radicales. La loi anti-trust découle en quelque sorte de cette vision essentielle à la bonne paix de la cité, mais sous le terme de cité, il faut également comprendre que le roi est une corporation, que le clergé est une corporation, que la personne du maire est une corporation, que celle du sheriff est une corporation et qu’en fait, le terme corporation s’applique plus au rôle et au statut de la personne qu’à son identité, bien que dans le cas du roi, l’identité et la généalogie soient une corporation en soi. Les manufactures, les commerçants, les distributeurs, les médecins, chirurgiens, les antiquaires sont des corporations.

Ayant ainsi rassemblé les diverses espèces de corporations, examinons maintenant, 1. Comment les corporations en général peuvent être créées. 2. Quels sont leurs pouvoirs, capacités et incapacités. 3. Comment les entreprises sont visitées. Et, 4. Comment ils peuvent être dissous.

Source: Page 295

Le roi, dit-on, peut accorder à un sujet le pouvoir d’ériger des corporations, bien que le contraire ait été autrefois jugé: c’est-à-dire qu’il peut permettre au sujet de nommer les personnes et les pouvoirs de la corporation à son gré; mais c’est vraiment le roi qui érige, et le sujet n’est que l’instrument : car bien que seul le roi puisse faire une corporation, cependant qui facit per alium facit per se.

Source: Page 297

En d’autres mots, toute corporation n’existe que par le fait du roi, mais celui-ci peut désigner des représentants chargés de nommer les personnes et les pouvoirs de la corporation. Cette notion est essentielle pour comprendre la nature des corporations modernes et la manière dont le libéralisme peut assujettir l’économie au dominion du roi, sous entendu, le roi d’Angleterre.

Il y a aussi certains privilèges et incapacités qui accompagnent une société globale, et ne sont pas applicables à ceux qui sont uniques ; la raison de leur cessation, et bien sûr la loi. Elle doit toujours comparaître par avocat, car elle ne peut comparaître en personne, étant, comme le dit sir Edward Coke, invisible et n’existant que dans l’intention et la considération de la loi. Elle ne peut ni soutenir, ni être rendue défenderesse à une action de coups et blessures ou autres atteintes à la personne ; car une corporation ne peut ni battre ni être battue dans son corps politique. Une société ne peut pas commettre de trahison, de crime ou d’autre crime en sa qualité de personne morale : bien que ses membres le puissent, en leurs capacités individuelles distinctes. Elle n’est pas non plus susceptible de subir la peine d’un traître ou d’un criminel, car elle n’est pas passible de peines corporelles, ni d’atteinte, de confiscation ou de corruption de sang. Il ne peut être exécuteur testamentaire ou administrateur, ni exercer aucune fonction personnelle ; car il ne peut prêter serment pour la bonne exécution de l’office. Il ne peut être saisi de terres à l’usage d’autrui ; car une telle sorte de confiance est étrangère à la fin de son institution. Il ne peut pas non plus être envoyé en prison; car, son existence étant idéale, nul homme ne peut l’appréhender ni l’arrêter. Et donc, aussi, il ne peut pas être proscrit; car la mise hors la loi suppose toujours un précédent droit d’arrestation, qui a été vaincu par les parties en fuite, et qu’une corporation ne peut pas non plus faire: pour quelles raisons les procédures pour obliger une corporation à comparaître à toute poursuite par avocat sont toujours par détresse sur leurs terres et marchandises. Une corporation ne peut pas non plus être excommuniée : car elle n’a pas d’âme, comme l’observe gravement sir Edward Coke ; et donc aussi il n’est pas susceptible d’être convoqué dans les tribunaux ecclésiastiques à aucun titre; car ces tribunaux n’agissent que pro salut animce, et leurs jugements ne peuvent être exécutés que par des censures spirituelles : une considération qui, portée à toute son étendue, démontrerait seule l’inconvenance de ces tribunaux de s’immiscer dans des droits temporels quelconques.

Source: Page 298

L’existance idéale et immortelle des corporations devient une sorte de paravent dissolu sur lequel le droit glisse comme sur les ailes d’un canard, mais ce qu’elles ont en commun demeure ce qui les fonde, c’est à dire le roi et précisément le roi d’Angleterre. Encore une fois, c’est le roi qui détermine les personnes et les pouvoirs, c’est à dire qu’il exerce politique au travers les corporations dont c’est la vocation première.

Dans le cas McKinsey, il y a ingérence d’une corporation américaine auprès du gouvernement français et en fait d’une affaire, il y en a au moins quatre:

  1. La répétition et la fréquence avec lesquelles le cabinet McKinsey est employé, ce qui met en doute les appels d’offres.
  2. La chronologie avec laquelle McKinsey a d’abord offert des services pro-bono à la campagne présidentielle de Macron de 2016 suivi de juteux contrats rémunérés sur le denier de la France.
  3. L’absence du paiement de l’impôt sur les sociétés par McKinsey qui évade tout ses profits dans le Delaware, le paradis fiscal américain.
  4. La nature même des conseils qui suggèrent plusieurs délits d’initiés, de corruption, d’ingérence, voire, d’espionnage.

Bien entendu, le même cabinet McKinsey est partenaire de BlackRock au travers des opérations de recrutement/formations plus que douteuses. Tout cela au nom de la Firme, l’autre nom de McKinsey. Si on s’en tient juste aux faits, juste aux faits, on pourrait dire que Macron est un traitre mais qu’après tout s’il fait ça, c’est pour ses amis. Un homme comme lui n’agit jamais seul.

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